Sylvain CONNAC– LIRDEF (équipe d'accueil 3749) – Universités Montpellier II et III
ISFEC Montpellier - France
Marie LEMPERIERE - ISFEC Montpellier - France
Mots clés : Aide – Coopération – Rapport au savoir – Secondarisation – Tutorat
Résumé :
En pédagogie, la coopération participe à la personnalisation des apprentissages. Elle donne la possibilité aux élèves, en complément de l’intervention didactique de l’enseignant, d’aider, d’être aidés ou de travailler avec des pairs. Lorsque la coopération prend un caractère dissymétrique et institutionnalisé, il devient du tutorat. Il s’agit alors de savoir si son introduction modifie le rapport aux savoirs des élèves. Il s’agit notamment de travailler la question de leur entrée dans le processus de secondarisation. Cette recherche s’appuie sur des données recueillies aussi bien en école primaire qu’en collège, au sein de classes qui pratiquent ordinairement le tutorat et pour lequel les enseignants ont été formés.
La coopération se définit comme l’ensemble des situations où des personnes produisent ou apprennent à plusieurs. Elles agissent ensemble. Plus précisément, elle est entendue comme ce qui découle des pratiques d’aide, d’entraide, de tutorat et de travail de groupe. La collaboration désigne un sous-ensemble de la coopération : elle pointe des activités de travail ("labeur") et elle place les coopérateurs dans une relation symétrique au projet qui les unit. (Connac, 2013) Lorsque l’aide apportée par un élève volontaire est organisée, codifiée et liée à un contrat d’engagements, on utilise le terme de tutorat, ou "enseignement par les pairs." (Mazur, 1997) Un tuteur est un élève volontaire et formé aux gestes de l’explication. Il maîtrise ce qu’on lui demande ou sait renvoyer vers quelqu’un de compétent. Il répond en cela à son origine étymologique, celle de protéger.
Les pratiques de la coopération scolaire défendent une conception précise des relations sociales et tendent à développer la fraternité et la solidarité. Mais elles représentent surtout un moyen pédagogique visant une densification du rapport aux savoirs des élèves (Charlot, 1999). Ainsi pensée, la coopération participe aux dispositifs de personnalisation des apprentissages (Connac, 2012). Elle facilite l’exploitation des situations didactiques collectives ainsi que le déroulement du travail individualisé.
En même temps, plusieurs tensions subsistent. Elles constituent des défis, autant pour les chercheurs que pour les praticiens.
Nous émettons l’hypothèse qu’une formation initiale des élèves à la coopération et au tutorat peut apporter des réponses progressistes à ces questions. Organiser le tutorat, former les élèves à l’agir coopératif constituerait alors le chainon manquant entre des temps d’exposition aux apprentissages longs et une lutte effective contre les inégalités scolaires. Le principe de cette étude est donc de travailler cette question de recherche : « Quels sont les effets de la formation au tutorat ou à la coopération sur le rapport aux savoirs, à l’école primaire et au collège ? »
La coopération est avant tout une organisation collective qui vise un intérêt général. Elle regroupe toutes les situations où enfants, jeunes et adultes, réunis en communauté de recherche, mettent à disposition de tous les richesses individuelles, échangent leurs connaissances et développent en même temps des attitudes métacognitives. (Connac, 2009)
On distingue quatre formes de relations coopératives : l’aide, l’entraide, le travail en groupe et le tutorat. (Connac, 2012) Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’aide, l’entraide et le tutorat, pour ensuite axer la recherche sur le tutorat exclusivement.
L’aide est une situation dans laquelle une personne qui maîtrise une compétence, apporte spontanément et de manière ponctuelle, ses connaissances à un tiers qui en a fait la demande.
L’aide induit une relation asymétrique, l’aidant se positionne en tant qu’expert et possède plus de compétences concernant la tâche engagée que l’aidé. Cette relation asymétrique n’est pas forcément à craindre car si l’aide à été abordée de manière positive, lorsque le guidage est de moins en moins présent, la participation prend de plus en plus d’importance et l’aidé peut alors entrevoir la possibilité de devenir aidant. Cela est d’autant plus vrai que les élèves mettent souvent en place spontanément l’aide, même lorsque la situation ne s’y prête pas forcement (ex : la triche).
Si l’on se penche de plus près sur cette relation assez naturelle qu’est l’aide, on s’aperçoit qu’il existe différents niveaux d’élaboration de celle-ci en fonction de la situation et de la demande (Webb, 1989). On distingue :
- l’aide exécutive, le fait de fournir directement la réponse
- l’aide peu élaborée qui consiste à donner une information simple et appropriée à une tâche peu compliquée, celle-ci nécessite simplement des qualités personnelles et relationnelles chez l’aidant
- l’aide élaborée qui consiste à fournir des explications et faire analyser des stratégies de résolution du problème. Celle-ci nécessite une certaine expertise de l’aidant dans la compétence travaillée.
A. Baudrit (2007a) et A. Marchive (1995) soutiennent que l’aide peu élaborée est efficace pour les élèves qui éprouvent des « blancs de compréhension », c’est-à-dire lorsqu’ils sont bloqués et qu’ils ne peuvent plus avancer. On parle alors de déblocage ou de dépannage. Souvent, c’est parce que l’élève ne sait pas ce qu’on attend de lui. Vedder distingue les conditions pour que ces aides soient efficaces, indépendamment du niveau d’élaboration (Vedder, 1985) :
- l’aide doit tout d’abord être pertinente (répondre précisément à un problème) et d’un niveau d’élaboration approprié à la demande (l’hétérogénéité des niveaux scolaires, des origines culturelles et des besoins appellent à des interventions différentes, une aide peu élaborée suffit s’il s’agit de combler un blanc de compréhension par exemple)
- l’aide doit être manifestée par l’apprenant, fournie rapidement et être comprise par l’apprenant
- l’aide doit pouvoir être utilisée par l’apprenant dans et hors contexte.
De plus, on peut ajouter que pour que l’aide porte ses fruits, il semble nécessaire de prendre en compte la dimension socio-affective. L’objectif final étant que grâce à l’aide, l’élève aidé réussisse à combler l’écart avec ce qui est attendu.
L’entraide représente une interaction entre plusieurs personnes de même niveau de compétence, bloquées face à une même difficulté. Elles se réunissent de manière informelle pour tenter de la résoudre ensemble. Tous les individus sont au même niveau de compétence, on se trouve donc dans une relation plus symétrique. La plupart du temps, un élève propose spontanément de réaliser une recherche, un groupe va se former et le travail va s’organiser sans aucune directive de l’enseignant. Les élèves font alors preuve d’autonomie, chacun apportant sa contribution.
L’entraide est à distinguer de l’aide mutuelle, cette dernière consistant à ce qu’un aidé deviennent aidant dans un autre contexte.
D’après plusieurs auteurs, il semble que l’entraide, au-delà de favoriser les apprentissages, participe aussi à l’amélioration des comportements pro-sociaux, de l’esprit citoyen (Fertig, 1995) et du sens de la communauté (Schaps, Watson, Lewis, 1997).
Le travail en groupe correspond à une entraide dans un cadre plus formel, généralement organisé par un adulte, dans le but de réaliser une tâche identifiée. Le groupe en pédagogie est défini comme constitué de relations plurielles d’échanges, articulées sur un contact avec le réel et évacuant tout ou partie de l’autorité de l’adulte. (Meirieu, 1996) Le travail de groupe s’apparente donc à l’apprentissage coopératif. « L'apprentissage coopératif est structuré de telle sorte que les efforts de chaque membre soient nécessaires pour le succès du groupe et que chacun doive apporter sa juste contribution. Par ailleurs, les membres s'encouragent et s'aident réciproquement à apprendre, louent les succès et les efforts des uns et des autres ; ils doivent apprendre à bien se connaître et à se faire confiance, et doivent régulièrement réfléchir ensemble sur leur façon de fonctionner et sur les manières d'améliorer ce fonctionnement. » (Lecomte, 2013, p 6)
S.J. Derry (1999) considère que le conflit sociocognitif qui peut jaillir durant le travail en groupe est essentiel pour la construction de nouveaux savoirs. En effet, les élèves découvrent de nouvelles informations dans les réponses des autres qui leur seront utiles pour aller plus loin (Bertrand, 1992).
Sur le même principe que l’aide, mais à un niveau d’institutionnalisation différent, le tutorat réunit deux personnes de niveaux de compétences inégaux, où « l’expert » accompagne « le non expert » jusqu’à ce qu’il devienne autonome dans le domaine sollicité. Le tutorat revêt un cadre formel dans lequel la compétence et l’objectif de travail sont prédéterminés.
Etymologiquement, le terme de tuteur vient de la racine latine tueri signifiant « protéger, garder, veiller à. » Plus tard, ce terme chargé d’histoire et de connotations, prend sens dans les milieux judiciaires (« personne chargée de veiller sur un mineur ou un interdit, de gérer ses biens et de les représenter dans ses actes juridiques ») et horticole (« tige, armature de bois ou de métal, fixée dans le sol pour soutenir ou redresser une plante »). Le terme de tuteur et celui de tutorat apparaissent également dans le milieu de l’enseignement. Il est défini comme un dispositif d’apprentissage et d’aide qui induit l’interaction communicative entre un tuteur et un tutoré. Une relation interindividuelle asymétrique, forme plus élaborée de l’aide, où le tuteur est reconnu comme « expert » et devient responsable du soutien demandé par le tutoré.
Au-delà de la maîtrise de la compétence disciplinaire engagée, Bruner (1987) explique que le tuteur doit montrer d’autres qualités afin de pouvoir remplir un rôle d’étayage auprès du tutoré (enrôlement dans la tâche, simplification de l’activité, maintien de l’orientation de la tâche, signalisation des caractéristiques déterminantes et démonstration de modèle). Il apparaît que le rôle de tuteur, en tant que personne qui en aide une autre si elle éprouve des difficultés, corresponde à un « statut admis » au sein de la société (Sarbin, 1976).
Depuis la période antique jusqu’au milieu du XIXème siècle, le « tuteur » faisait partie de la vie sociale. Durant l’antiquité, une loi romaine instituait le tuteur, comme une personne qui a sous sa responsabilité un orphelin (Gordon, Gordon, 1990). En France, durant le Moyen-âge et la Renaissance, la fonction de tuteur évolue. Il est alors reconnu comme celui qui participe à l’éducation intellectuelle et spirituelle d’enfants de bonnes familles, dans le cadre d’un accompagnement individuel (Baudrit, 2007b). Selon Briggs (1998), en Allemagne, dès 1531, Valentin Trotzendorf a décidé de faire enseigner aux plus jeunes les élèves les plus vieux. Pour lui, la meilleure façon d’apprendre est d’enseigner. Puis Andrew Bell, en Inde, imagine à la fin du XVIIIème siècle, pour lutter contre la pénurie d’enseignants (A. Marchive, 1995), un système hiérarchique où les tuteurs sont des enfants-instructeurs et non des adultes. Ces tuteurs, ont sous leur responsabilité d’autres enfants, des assistants, qui ont à leur tour, chacun en charge un enfant-apprenant : l’enseignement mutuel était né. Entre les années 60 et 70 on observe une recrudescence des dispositifs de tutorat aux Etats-Unis et en Grande Bretagne ainsi que des recherches concernant les effets bénéfiques ceux-ci, à la fois sur les tuteurs et les tutorés.
Il faut attendre les années 80, pour observer la mise en place du tutorat entre pairs en France. La distinction entre tutorat et monitorat étant encore floue, A. Baudrit (Baudrit, 1999, Baudrit, 1989) a réalisé une mise au point terminologique pour éviter la confusion : le moniteur s’inscrit plutôt dans une relation hiérarchique où la personne est chargée de faire répéter, d’enseigner à un groupe d’apprenants plus jeunes ; le tuteur s’inscrit dans une organisation fonctionnelle où la personne est là pour aider individuellement les apprenants qui rencontrent des difficultés d’apprentissage.
On distingue dans la littérature, deux formats de tutorats (Baudrit, 2007b) : le tutorat actif où un tuteur vient en aide et apporte des explications à un tutoré et le tutorat passif où le tutoré apprend en écoutant et observant le tuteur faire. On se rapproche alors de l’effet vicariant. (Bandura, 1976)
Certains auteurs insistent sur le choix des tuteurs. G. Barnier (2001) explique que pour éviter une certaine domination du tuteur sur le tutoré, l’enseignant ne va pas forcement choisir comme tuteur l’élève qui a les meilleures résultats, mais plutôt celui qui a de concert des compétences dans le domaine d’enseignement traité et d’ordre communicationnelles. Pour devenir tuteur, l’enfant doit bien sûr maitriser la compétence travaillée, mais surtout être capable de la traduire et de la transmettre en étant à l’écoute du tutoré. Le concept de « congruence cognitive » (Baudrit, 2007b) regroupe les qualités relationnelles et sociales (capacité à s’exprimer dans un langage approprié, à expliquer dans des termes compréhensibles et à utiliser les notions et concepts accessibles à l’interlocuteur) ainsi que les compétences académiques (expertise dans le domaine d’action interrogé).
La formation des élèves au tutorat semble être une condition indispensable à l’introduction de ce dispositif pédagogique. Les travaux de L. Lafont, P. Ensergueix et C. Cicéro (2006) ont avancé que les tutorés qui bénéficiaient de tuteurs formés montraient des performances plus élevées que ceux bénéficiant de tuteurs non formés. Une autre étude montre que les tuteurs formés mettent en place des stratégies de résolution de tâche plus évoluées (Filippaki, Barnier, Papamickael, 2001) Il ne suffit pas de mettre deux individus en interaction pour qu’ils coopèrent, il est nécessaire que les situations de tutelles reposent sur l’enrôlement des deux partenaires. De plus, le tuteur va devoir réaliser différents types d’interventions qui ne peuvent être seulement intuitives (rappel et ré-explication de la consigne ; maintien dans l’activité ; aide technique sur un aspect particulier de la tâche, qui pose problème ; aide stratégique sur la démarche à suivre ; contrôle et validation de l’avancée de la résolution de la tâche) et qui nécessite donc une formation. D. Guichard (2005) va même plus loin en affirmant que la mission de tuteur est confiée à des sujets ayant apporté la preuve d’une qualification par, en particulier, la réussite à certains diplômes.
A. Baudrit valorise plusieurs modèles de formation : celui de S. S. McNaughton et ses collègues (1987) conseille la formation des élèves tuteurs à la méthode Pause, Prompt and Praise. Le premier temps, intitulé Pause (attendre), consiste à ce que le tuteur, en n’intervenant pas tout de suite, laisse la possibilité au tutoré de rectifier seul ses erreurs. Le deuxième temps, intitulé Prompt (intervenir), consiste à ce que le tuteur, une fois la pause écoulée, intervienne pour aider le tutoré à résoudre la tâche qui lui pose problème, par différentes actions (encouragement, attirer l’attention du tutoré sur le contexte, les données, l’aider à trouver la réponse seul en le guidant). Le troisième temps, intitulé Praise (encourager), consiste à féliciter le tutoré pendant et après le travail effectué, tout en encourageant les comportements d’autocorrection. A. Baudrit apporte un complément à ce modèle avec les travaux d’A. Gartner et ses collègues (1973) qui valorisent l’élaboration de techniques personnalisées dans l’action de tutorat. Les auteurs incitent les élèves, pour se préparer à leur futur rôle de tuteur, à créer leurs propres outils de travail (inventer des jeux, fabriquer des objets, …) afin de mieux se les approprier, tout en travaillant des techniques de communication, afin d’être plus efficaces dans l’interaction.
J. Armand (2012) propose d’introduire dans cette formation au tutorat une dimension d’étayage. Elle propose une démarche (IMA) qui consiste à articuler trois étapes : identification du problème, modelage et accompagnement.
Plusieurs auteurs et recherches mettent en avant les intérêts du tutorat sur les apprentissages. Il apparaît qu’il bénéficie au moins autant au tuteur qu’au tutoré et les intérêts pour ces deux inter-actants sont multiples. En effet, au-delà de son rôle le plus évident, à savoir l’acquisition et le renforcement d’apprentissages, le tutorat permet aussi à chacun des deux élèves de la dyade, de favoriser le développement personnel et social, soit l’émancipation éducative et la responsabilisation. J. Lecomte (2012) explique que nous éprouvons de la satisfaction, non seulement lorsque nous coopérons, mais aussi lorsque les autres coopèrent avec nous. Coopérer stimule des zones du cerveau de la récompense, ce qui n’est pas le cas avec la compétition.
Pour O. Houdé et F. Winnykamen (1992), « le rôle des interactions entre pairs de niveaux de développement identiques ou voisins face à une notion en cours d’acquisition est largement attesté : le travail à deux permet à chacun des partenaires, sous certaines conditions, de progresser davantage qu’ils ne l’auraient fait en travaillant seuls ». Cette idée est même élargie par les travaux de Vygotsky pour qui la connaissance serait construite par les interactions entre les élèves, les plus expérimentés transmettant leur savoir et leurs outils aux novices. La personne qui agit à titre de guide peut très bien être un autre enfant. (Buchs, 2002) M.A. Cooper (1999) est arrivé aux mêmes résultats : les élèves qui coopèrent obtiennent de meilleurs gains au niveau de l’apprentissage des concepts et de la procédure. Dans ces conditions, le tutorat est un outil pédagogique, une réelle opportunité d’apprendre, permettant la construction de savoirs chez le tutoré comme le tuteur. En demandant de l’aide, le tutoré travaille les mécanismes de compréhension (fait du lien avec ses connaissances antérieures) et en répondant à cette demande, le tuteur travaille les mécanismes de transfert (appliquer des savoirs acquis à d’autres contextes). Ces deux activités cognitives entrant en jeu dans l’acte d’apprendre (Connac, 2012), le tutorat participe donc bien aux apprentissages du tuteur comme du tutoré.
D’après A. Baudrit (2007b), il semble que le tutorat permette trois types d’avantages menant à la compréhension chez le tutoré :
Pour le tuteur, celui-ci bénéficie encore plus des bienfaits du tutorat que le tutoré. Cette découverte a été nommée « l’effet tuteur ». V. L. Allen et R. S. Feldman (1973) expliquent que c’est l’aspect social du tutorat qui motive les progrès du tuteur ; pour lui, l’intérêt est plus important quand il s’agit de s’occuper d’un autre élève que lorsqu’il s’agit d’étudier seul. Les bénéfices du tutorat sur le tuteur sont alors le renforcement cognitif par le transfert. Il est d’abord conduit à une réactivation de ses connaissances et compétences pré-acquises (processus de rappel provoquant un renforcement des connexions neuronales), ensuite il est amené à mettre en mot ce qu’il s’est construit mentalement (passage de la pensée au langage qui favorise la densification des réseaux initiaux aux apprentissages), puis il doit se faire comprendre et travailler sa communication (emploi de feedback, de divers outils, amélioration et variation des stratégies), et enfin le tuteur peut être contraint de se construire de nouvelles stratégies relatives à l’appropriation des apprentissages en question (lorsque le tutoré ne comprend pas le tuteur diversifie ses explications, créant ainsi de nouvelles connections) (Connac, 2012).
Si tuteur et tutoré construisent des apprentissages durables par le biais du tutorat, on peut légitimement penser que c’est aussi grâce à l’augmentation du « temps d’exposition aux apprentissages » (Bressoux, 1994) qu’il induit. Pour G. Chauveau (1999), l’association d’une forte exposition des élèves aux apprentissages et une bonne organisation de l’aide au travail personnel conditionnent la génération de la réussite. Pour le tuteur comme le tutoré le tutorat permet ainsi d’éviter l’ennui scolaire tout en rentabilisant ce temps (mettre les élèves en activité apprenante pendant la plus grande partie du temps).
En même temps, le tutorat comporte quelques limites qu’il est nécessaire de considérer : la place du tuteur, la complexité de la tâche et la réticence des personnes non sensibilisées au concept du tutorat dans la classe.
Au sujet de la place du tuteur, il semble qu’il y ait deux risques antagonistes possibles : le risque de domination du tuteur et le risque de relations fusionnelles. (Marchive, 1995) Face à cela, A. Baudrit (2004) s’est demandé si le fait d’annoncer à un élève qu’il va être le tuteur d’un autre ne risquait pas de fausser la relation, d’instaurer de la compétition ou de la domination. Pour répondre à cette question, il s’est appuyé sur une étude de C. Berzin et ses collègues (1996) qui montre que le tuteur informé de son rôle a tendance à, non forcement à dominer le tutoré, mais surtout faire à sa place ou tout du moins à le guider fortement, empêchant de réels apprentissages et créant une dépendance de la tutelle. Ces auteurs relèvent que non informés de leur rôle, les tuteurs sont sans doute plus libres de leurs mouvements, moins contraints par les attentes de réussites qu’ils suscitent et, surtout, plus aptes à tenir compte des caractéristiques de leurs partenaires. Il semblerait donc que plus l’on installe les élèves tuteurs dans leur rôle, et moins les tutorés bénéficient de leur aide. Pourtant, Fuchs et al. (1994) montrent que des tuteurs informés de leur tâche, voir même formés à leur future fonction, connaissent les difficultés précises de leur tutoré, savent exactement sur quel point ils doivent intervenir et ont une idée des types d’interventions et d’explications qu’ils doivent mettre en place. Il semblerait donc que ce soit les tuteurs seulement informés de leur rôle mais non formés qui perdent du temps en explications et démonstrations et risquent de chercher à dominer leur tutoré, alors que ce biais disparait chez les tuteurs informés et formés à leur rôle.
Concernant la complexité de la tâche, D. Guichard (2001) avance que la nature et la complexité de la tâche influent sur l’efficacité du tutorat. Par exemple, les tâches de résolutions de problèmes sont moins efficaces dans une situation de tutorat car il est difficile de trouver les mots pour expliciter la démarche, alors que les tâches de lecture fonctionnent mieux car moins complexes à expliciter et favoriseraient alors les progrès.
Enfin, une réticence de personnes extérieures à la classe et non informées au dispositif de tutorat est possible. En effet, le tutorat dans la classe peut parfois être mal perçu par les observateurs extérieurs. Les libertés des élèves et la place de l’enseignant peuvent interroger. (Armand, 2012)
« Quels sont les effets de la formation au tutorat ou à la coopération sur le rapport aux savoirs, à l’école primaire et au collège ? » Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question de recherche, nous avons suivi pendant une année les élèves de trois classes primaires et trois classes de collège dont les enseignants ont reçu une formation initiale à la coopération. Une série d’entretiens semi-directifs, des élèves et des enseignants, à deux périodes de l’année, couplée à des séances d’observation de situations pédagogiques constituent le corpus de cette étude. Nous avons adopté une posture d’observation ethnographique. En effet, pour pouvoir se rendre compte des effets de la formation au tutorat sur les élèves, le plus efficace est encore de décrire et analyser des situations de tutorat concrètes, après les avoir observées de l’intérieur, c’est-à-dire auprès des élèves et des enseignants, au sein des classes qui le mettent en place. La temporalité des événements est importante ; nous nous sommes donc rendus plusieurs fois dans les classes observées à deux périodes différentes de l’année.
Trois classes primaires (CP1, CP2 et CE2) ainsi que trois classes de collège (1 6ème, 1 4ème et 1 ULIS) ont fait l’objet du recueil de données. Le choix de ces établissements est appuyé par le fait qu’un certain nombre d’enseignants y ont suivi, dans le cadre de leur cursus de formation continue, une formation aux pratiques coopératives. L’annexe 1 présente un contenu de formation à la coopération proposée aux élèves. L’annexe 2, le brevet de tuteur des élèves de cycle II. L’annexe 3, celui des élèves de cycle III. L’annexe 4, celui des collégiens. Ces mêmes enseignants, au cours de l’année scolaire 2012/2013, ont mis en place progressivement dans leurs classes des dispositifs pédagogiques autorisant la coopération entre les élèves. Ces établissements se situent dans des villes et villages du département de l’Hérault et accueillent des populations socialement mixtes. Ils n’appartiennent pas à des zones d’éducation prioritaire.
Dans les classes primaires, en plus des trois enseignantes sollicitées durant cette recherche, des élèves ont aussi été interrogés. 24 élèves des trois classes citées ont aussi été sollicités, 16 sont en CP et 8 en CE2, tous ont vécu la formation à la coopération et la pratiquent dans leur classe. Le choix de ceux-ci a été réalisé par chacune des enseignantes, avec la consigne de former des groupes composés de 4 élèves, mixtes et hétérogènes face au tutorat. Deux groupes par classe ont ainsi été constitués. Un premier temps, en novembre, a été consacré à observer la mise en place des dispositifs de formation à la coopération. Un deuxième temps, début février, a permis d’observer des situations réelles de tutorat dans la classe. Ont donc été réalisés et retranscrits 6 observations de classes (2 dans chaque classe), 6 entretiens semi-directifs avec les enseignantes (2 entretiens avec chacune d’elle) et 12 entretiens de groupe semi-directifs avec les élèves (2 entretiens avec chacun des 6 groupes de quatre élèves). L’annexe 5 fournit un exemple de situation de tutorat en classe de CP.
Dans les classes de collèges, 20 élèves ont été interrogés (8 élèves de 6ème, 7 élèves de 4ème et 5 élèves en ULIS). Les retranscriptions de ces entretiens ont été codées avec des lettres : de A à T. Trois entretiens de groupes ont également été menés. Ils ont été codés A’ (6ème), B’ (4ème) et C’ (ULIS). Ces entretiens se sont étalés entre les mois d’avril et juin 2013. Les enseignants de ces élèves (mathématiques et maître spécialisé) ont participé à une formation aux pratiques de la coopération et ont ensuite mené auprès de leurs élèves une formation à la coopération. Ainsi, dans chaque classe, plusieurs élèves avaient le statut de tuteur après avoir réussi le brevet connexe. L’annexe 6 présente des retranscriptions de situations de coopération entre élèves de la classe de 6ème.
Les observations de classes, suivies des entretiens avec les enseignantes, ont permis de mettre à jour des différences entre les pratiques de formation à la coopération. Chaque enseignante voit dans le dispositif du tutorat, le moyen d’atteindre des objectifs singuliers. Il est donc logique que les modèles de formation diffèrent.
L’enseignante du CP2 s’appuie sur ce que vivent les élèves durant les temps de travail personnel pour leur faire prendre conscience que de l’aide existe déjà entre les élèves. Suite à cela, elle fait définir certaines notions à l’oral quant à la manière d’aider. Celle-ci ne souhaitait pas institutionnaliser le tutorat, ni introduire le terme de tuteur d’ailleurs, afin que tous se sentent concernés et puissent endosser les deux rôles (tuteur/tutoré). Ce premier modèle non institutionnalisé, est qualifié de sensibilisation et d’incitation à l’entraide et à l’aide, mais non d’une réelle formation au tutorat.
L’enseignante de CE2 a introduit le terme de tuteur. Elle fait appel à la mémoire des élèves et les fait interagir sur les règles de tutorat dans le but de créer un outil qui validera les capacités du tuteur et institutionnalisera sa fonction. L’objectif de cette enseignante est de responsabiliser les élèves par le tutorat. Ce second modèle, par la construction collective d’un brevet des tuteurs, renseigne les élèves et leur fait intégrer les compétences requises, pour endosser leur futur rôle.
L’enseignante du CP1 s’appuie sur des vidéos des élèves en situation d’initiation au tutorat pour en faire émerger les règles. L’objectif est que les élèves comprennent le fonctionnement du tutorat afin de le réutiliser lors des temps de travail personnel. Cet autre modèle, qui s’appuie sur l’analyse des difficultés et réussites en situation de tutorat spontané, vise à permettre aux élèves d’intégrer la démarche recherchée.
Pour les deux dernières enseignantes présentées (classe de CP1 et de CE2), la formation des élèves à la coopération aboutit à l’institutionnalisation écrite du tutorat (affichage des règles dans la classe) et du rôle de tuteur (passation d’un brevet des tuteurs). Lorsque l’on continue à analyser les observations de classe et les entretiens de ces deux classes, on s’aperçoit qu’il existe aussi un certain nombre de similitudes dans la mise en place :
Elèves comme enseignantes affirment que le tutorat permet d’améliorer le rapport aux savoirs car il rassure, permet la réussite et assure de ne plus jamais être seul et bloqué devant un obstacle. Cette affirmation est plus intense chez les CE2 et les CP1 (classes où le tutorat est fortement institutionnalisé), un moins dans la classe de CP2 (classe où le tutorat n’a pas été institutionnalisé). Ensuite, il semblerait qu’ils ne perçoivent pas de réelle augmentation du temps d’exposition aux apprentissages grâce au tutorat. Ce concept semble assez flou pour eux.
Les enseignantes pensent que les élèves n’ont pas de réelle conscience des bénéfices du tutorat, comme le réinvestissement des savoirs et la réassurance. Les entretiens avec les élèves montrent le contraire. Ceux-ci affirment que le tutorat les aide à surmonter les difficultés, à mieux comprendre et travailler, mais aussi à améliorer leur rapport aux savoirs. Il semble que les élèves aient pris conscience de ces bénéfices, en partie lors de la formation, mais surtout au fur et à mesure de la mise en place du tutorat dans la classe.
Le ressenti des élèves comme des enseignantes vis-à-vis de l’introduction du tutorat dans les classe est positif pour tous. On observe une légère différence entre les classes de CP1/CE2 et la classe de CP2, soit que les élèves qui ont réellement été formés au tutorat (classe de CP1 et CE2), semblent mieux en percevoir les bénéfices et avoir plus de facilités à le mettre en place.
Dans les trois classes, pour avoir le droit d’aider, un tuteur doit d’abord avoir terminé son travail (B2 – H10 – K2 – P6) Il devient alors disponible pour apporter son aide. (A2 – K2 – Q2) Dans une classe, si les élèves ont quatre exercices à effectuer, les tuteurs n’en font que trois et peuvent aller aider. (A’2) C’est parfois l’enseignant qui indique quel tuteur peut aider tel élève en demande. (D2 – E2 – P10) Les élèves qui ont besoin d’aide lèvent la main pour se signaler. (A2 – H8 – S12) Les tuteurs se déplacent, expliquent, ne font pas le travail à la place de leur camarade. (A2 – H8)
Eu début d’année, les élèves ont suivi une formation sous forme d’explications par l’enseignant, puis ont passé une épreuve d’évaluation par l’intermédiaire d’un questionnaire à choix multiples. Ceux qui l’ont réussie ont obtenu le statut de tuteur. (D6 – H2 – I2 – J2 – R8) Un élève est tuteur sur les domaines qu’il maîtrise, sur ce qu’il a compris. Sinon, il n’intervient pas. (B6 – D6 – D30 – H2 – M16 – O8)
Les tuteurs qui ont des difficultés dans la discipline n’aident pas trop les camarades. (H2 – H4 – U10) Il n’y a pas des tuteurs dans tous les cours. Plusieurs élèves le regrettent. (H18 – I14 – J6 – K26) La plupart du temps, le tuteur intervient pour expliquer une consigne ou un énoncé. (K2 – L10 – R18) Il apparaît que ce ne sont pas forcément les filles qui aident les filles. De même pour les garçons. (H24)
Même s’ils ne sont pas très compétents dans une matière, les élèves peuvent aider des camarades. (B6 – K12) Un élève tuteur a le droit de demander de l’aide à un autre tuteur. Il n’est pas contraint à l’omniscience. (B6) Certains élèves n’ont pas fini leur travail, c’est pourquoi ils ne demandent pas de l’aide ou ils n’en apportent pas. (C’14)
Les élèves apprécient apporter leur aide à des camarades en difficulté. (A4 – I4 – K12 – L6) Principalement parce que ceux qui sont aidés réussissent mieux les évaluations : ils ont mieux compris, ce qui induit de la satisfaction chez l’élève tuteur. (A4 – M8) Cela semble normal d’aider quelqu’un, tout comme d’être aidé en cas de difficulté. (B6 – I4 – P14) La motivation à devenir tuteur naît souvent suite à l’aide apportée par un camarade. (C5 – O12 – V14)
Pour aider, la première stratégie d’aide est l’accompagnement à la relecture de la consigne. (D26 – J10 – K8 – O22) Lorsque l’incompréhension persiste, le tuteur explique avec des exemples ou des schémas. (D26 – I8 – L8) Certains correspondent à des situations réelles (par référence à des objets courants) (I8 – T20) Quelques tuteurs débutent leur aide par un travail sur le sens de l’activité attendue. (I8 – M20 – S14)
Le tuteur montre des exemples et guide. Celui qui se fait aider essaye de refaire tout seul. (E2 – H8) Il ne donne pas les réponses. (B2 – K12 – V6) Les élèves interrogés précisent que ça ne sert à rien de donner les réponses parce que quand arrive le contrôle, si l’aide n’a pas été efficace, le camarade aidé n’obtient pas une note convenable. (C17 – L8 – U14) Parfois, le tuteur donne quelques réponses sous forme de premiers exemples. Cela se produit lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement. Le but est ensuite de permettre au camarade aidé de travailler seul. (D28 – H6 – L8)
Si cela ne fonctionne pas avec un tuteur, il est possible de solliciter l’enseignant. (B2) C’est à force de pratiquer le tutorat que les élèves se perfectionnent dans cette compétence. (K8 – P20 – U14)
Les tuteurs servent à aider les élèves qui rencontrent des difficultés dans les entraînements. (B2 – C3 – E10 – H14 – I2 – I10 – J18 – K22 – K26 – M12 – V15). Ils ne sont plus obligés de devoir comprendre du premier coup. Ils peuvent obtenir de l’aide assez rapidement. (C3 – L2 – O6) Certains enseignants semblent expliquer trop vite et les élèves disent ne pas avoir le temps de bien copier. Les tuteurs constituent alors des aides. (I4 – O8 – R4) Le tutorat permet de mieux comprendre les consignes, parce que la concertation est intense et parce que les explications fournies aident. (K18 – V20) La plupart du temps, les tuteurs arrivent à répondre aux demandes et les élèves aidés parviennent à comprendre. (A’9 – B’25 – C’13)
Parfois, cela prend du temps avant qu’un tuteur soit disponible. Cela permet alors d’essayer à nouveau. (H10 – M12) Un camarade connaît mieux les élèves et il explique avec une façon adaptée. Les professeurs répètent souvent de la même façon. (H10 – H18 – K22 – P12) Quand les tuteurs expliquent, c’est mieux qu’avec un enseignant parce que les élèves sont plus à l’aise avec des camarades. (A’25 – B’12) De plus, ils ont moins honte de demander de l’aide à un pair plutôt que devant toute la classe à l’enseignant. (K22 – I8 – R14)
Etre tuteur, cela permet de ne pas travailler seul, de ne pas attendre inutilement. (E6 – Q6 – T10) S’il n’y avait pas le tutorat, les élèves ayant terminé de manière précoce devraient attendre la suite du cours. (A8 – D2 – K16 – C11 – D18) Aider quelqu’un permet de découvrir de nouveaux apprentissages : connaissances, règles, techniques, façons de voir, … cela invite également à une conscientisation des apprentissages incomplets. (A12 – I12)
En expliquant, les exercices sont travaillés d’une autre façon. Cela permet d’approfondir les apprentissages. « Quand on explique, on s’explique aussi à nous. » (B8 – B14 – D16 – E12 – I12 – J14 – K18 – Q14) Les élèves apprennent à aider, à expliquer. (B8 – O14 – R8)
Il apparaît également que cela produit de la satisfaction d’avoir rendu un véritable service à un camarade. (C11 – D14) Même si un élève n’est pas très compétent, il peut se servir de ce qu’il sait et accroître son sentiment de compétence. (C11 – O20) Les élèves disent mieux apprendre en expliquant qu’en étant aidés. Ceux qui aident utilisent ce qu’ils comprennent. (H14 – J14)
Enfin, il remonte qu’être tuteur permet de mieux s’exprimer à l’oral et à se concentrer pour travailler. (L18 – M20)
Comme l’enseignant ne peut pas aider tous les élèves en même temps, il organise le tutorat. (J6 – T4 – A’17 – C’21) Ils deviennent alors meilleurs dans leurs apprentissages. (I16 – J6 – J14 – K18) Ils sont plus concentrés en cours et travaillent plus longtemps. (B12 – B14 – F8 – H14 – M18 – A’10 – B’16 – C’13) De plus, les disciplines scolaires sont mieux appréciées parce que les élèves y contribuent. (B14 – P18)
Les élèves disent mieux se sentir lors des cours, ils s’entendent bien avec leurs camarades. (J14 – L16)
Des collégiens expliquent que certains enseignants craignent le désordre dans les cours et n’organisent pas le tutorat. (J6 – R12) En même temps, même si c’est rare, certains élèves manquent de sérieux pour aider. (A16 – B20 – F16 – H20 – A’15 – C’18) Certains tuteurs, en cas de besoin d’aide, regardent ailleurs, ne font pas preuve de sérieux. (B’17 – C’14)
Certains tuteurs n’aident que leurs copains. (A’8 – B’14) D’autres se moquent quand un camarade rencontre des difficultés. (B’14) D’autre encore donnent les réponses pendant les entraînements. (B’15 – C’17)
Il arrive que certains tuteurs essayent d’aider mais leurs camarades ne comprennent pas toujours. (A’17 – B’24) Certains élèves n’arrivent pas à aider correctement parce qu’ils s’énervent rapidement face aux difficultés du camarade. (K20 – O10 – V10)
Dans la liste des tuteurs (une dizaine par classe), seuls certains le sont effectivement (4-5), les autres n’effectuent pas leur rôle. Il semble qu’ils ne voulaient pas être tuteurs dès le début. (A’13)
Certains élèves expliquent que s’ils n’avaient pas aidés des camarades, ils auraient effectué davantage d’exercices et auraient plus appris. (A8 – N4)
Les compétences nécessaires à la coopération sont différentes des compétences de la tâche : tous les experts ne sont pas forcement des tuteurs. Le tutorat entre pairs nécessite donc une planification et une intervention didactique formelle, aussi bien pour les enseignants que pour les élèves. Plus précisément, cette recherche met en évidence l’importance d’introduire des activités d’initiation à la coopération : grâce à des mises en situation concrètes, des jeux coopératifs, des séances filmées puis verbalisées après visionnage, des débats pour se positionner sur des idées-forces... Celles-ci ont quatre visées principales :
La formation des élèves à la coopération pourrait s’organiser de la façon suivante :
A l’école primaire, les effets de la formation au tutorat sur le rapport aux savoirs sont doubles. Les élèves se trouvent rassurés pour leurs activités cognitives, principalement parce qu’ils peuvent compter sur le soutien de tiers en cas d’obstacles trop difficiles à dépasser seuls. Ils sont également conduits à accroître leur signification des savoirs scolaires : ce qui est travaillé fait davantage sens.
Au collège, ces effets concernent autant les élèves aidés que les aidants. Les aidés disposent d’occasions plus rapides et plus fréquentes pour comprendre. Les domaines d’aides se concentrent exclusivement sur le sens des consignes ou des énoncés. Les blocages sont donc plus rares et les activités scolaires plus intenses. Les aidants participent au renforcement de leurs apprentissages par une diversification de leurs emplois. « Quand on explique, on s’explique aussi à nous. » Ils se sentent également fiers d’avoir été utiles pour d’autres et, parce qu’ils les ont utilisés, accordent davantage de sens aux savoirs enseignés. Il apparaît que pour les classes, l’exercice du tutorat influe sur les relations entre élèves et sur le goût des disciplines scolaires.
Dans le contexte de cette étude, il apparaît donc que la coopération renforce le rapport aux savoirs des élèves, dans la mesure où ils y sont formés et où les enseignants entretiennent régulièrement l’organisation mise en place. Même si les modalités diffèrent, grâce à la formation, les élèves comprennent et intègrent le sens du tutorat ainsi que la maîtrise de ses gestes premiers. Le tutorat ne sert pas seulement à s’aider les uns les autres, mais aussi à apprendre mieux autrement soi-même. C’est ainsi que la coopération participe à l’émergence du processus de secondarisation. « A l’école aujourd’hui, il ne suffit pas de faire ce que le maître dit pour réussir, il faut aussi comprendre ce qu’on fait et comment on le fait. » (Bautier, Goigoux, 2004, p 91) La culture scolaire correspond plutôt à la culture des milieux favorisés et n’est donc pas adaptée à tous. L’école exige, sans les enseigner, des codes, règles et stratégies, que tous les élèves n’ont pas reçus de leurs familles. (Perrenoud, 2004) La formation à la coopération des élèves et l’organisation du tutorat dans les classes semble permettre à un plus grand nombre d’élèves d’entretenir le goût du travail scolaire, le sentiment de compétence, le sens des apprentissages et l’augmentation de leur rapport aux savoirs. La congruence à l’école devenant plus forte, l’investissement des élèves pour apprendre devrait alors être une évidence.
(document de formation continue des enseignants ayant participé à la recherche)
Organiser une situation d’aide aux apprentissages
Celui qui aide :
Il peut :
Celui qui se fait aider :
Il peut :
Sylvain Connac
(document de formation continue des enseignants ayant participé à la recherche)
(document de formation continue des enseignants ayant participé à la recherche)
(document de formation continue des enseignants ayant participé à la recherche)
Classe de CP1
Contexte : pendant qu’un petit groupe d’élèves est en arts visuels avec l’enseignante, les autres choisissent des activités dans leur plan de travail. Elias aide Max à faire une fiche de lecture, des mots-croisés
A/CP1/2 |
1 |
E |
Lis moi ça |
A/CP1/2 |
2 |
M |
Tortue |
A/CP1/2 |
3 |
E |
Bien, maintenant il faut que tu écrives là |
A/CP1/2 |
4 |
M |
[tends son crayon de papier au tuteur] il ne marche pas bien |
A/CP1/2 |
5 |
E |
[taille le crayon de papier] tiens. Mais n’appuie pas trop là. Attends, donne moi ta main, on va le faire ensemble. Tiens le crayon. |
A/CP1/2 |
6 |
M |
Ca dérape des fois parce que j’ai les mains qui tremblent comme ça. |
A/CP1/2 |
7 |
E |
Vas-y essayes d’écrire. Baisse ton crayon. Voilà comme ça. |
A/CP1/2 |
8 |
M |
Heu…L et L ? |
A/CP1/2 |
9 |
E |
L et I |
A/CP1/2 |
10 |
M |
Lion |
A/CP1/2 |
11 |
E |
Oui c’est bien, maintenant il faut compter les carreaux. Allez essayes. Allez. Bien et maintenant tu l’écris sans moi d’accord ? Parce que moi je dois aussi faire mon travail |
A/CP1/2 |
12 |
M |
[le tutoré écrit en disant les lettres à voix haute] L I O N |
A/CP1/2 |
13 |
E |
C’est bien, maintenant lis moi ça. |
A/CP1/2 |
14 |
M |
E…L… |
A/CP1/2 |
15 |
E |
Oui c’est bien ça, c’est bien Max, tu fais des progrès en lecture. |
A/CP1/2 |
16 |
M |
Abeille |
A/CP1/2 |
17 |
E |
Non, A ça s’écrit comme ça A [le tuteur montre la lettre A] |
A/CP1/2 |
18 |
M |
P…H |
A/CP1/2 |
19 |
E |
Attends je vais te le lire, ELEPHANT, éléphant. Maintenant tu l’écris là |
A/CP1/2 |
20 |
M |
[le tutoré écrit en disant les lettres à voix haute] E L E P H |
A/CP1/2 |
21 |
E |
C’est bien Max, je croyais que tu allais faire un A |
A/CP1/2 |
22 |
M |
Oui parce que dans éléphant le H ça s’écrit presque comme un A [le tutoré écrit en disant les lettres à voix haute] A N T Voilà, j’ai écrit éléphant |
A/CP1/2 |
23 |
E |
[le tuteur montre du doigt un mot] |
A/CP1/2 |
24 |
M |
M…MOU |
A/CP1/2 |
25 |
E |
C’est bien |
A/CP1/2 |
26 |
M |
TON |
A/CP1/2 |
27 |
E |
Non, je te le lis ? |
A/CP1/2 |
28 |
M |
MOUCHE |
A/CP1/2 |
29 |
E |
Oui c’est ça. Devines où il faut l’écrire. |
A/CP1/2 |
30 |
M |
[le tutoré montre du doigt] |
A/CP1/2 |
31 |
E |
Oui, attends passe [en parlant du crayon] je vais te le souligner [en parlant du mot « mouche »] |
A/CP1/2 |
32 |
M |
Moi je n’arrive pas vraiment à souligner parce que j’ai les mains qui tremblent encore. |
A/CP1/2 |
33 |
E |
Mais au moins regarde tu peux l’entourer, comme ça tu pourras mieux le voir |
A/CP1/2 |
34 |
M |
[le tutoré écrit en disant les lettres à voix haute] M O U C H …il me manque heu… Elias tu pourrais me faire une case en dessous de cette case parce que j’ai plus de place ? |
A/CP1/2 |
35 |
E |
Mais non c’est bon tu l’as écrit. |
A/CP1/2 |
36 |
M |
Oui mais il y a H et il m’en manque le E |
A/CP1/2 |
37 |
E |
Mais tu l’as écrit là [montre du doigt la lettre E] |
A/CP1/2 |
38 |
M |
Mais c’est la lettre de tortue |
A/CP1/2 |
39 |
E |
En fait c’est des mots qui se croisent et du coup lui [pointe le mot « tortue »] il est croisé avec lui [pointe le mot « mouche »] |
A/CP1/2 |
40 |
M |
Comme ça ils se le partage le E. |
A/CP1/2 |
41 |
E |
La mouche et la tortue se partagent le E. Allez maintenant j’entoure pour que tu saches lequel c’est [entoure un nouveau mot]. Maintenant c’est à toi, réfléchis. |
A/CP1/2 |
42 |
M |
[le tutoré épelle] K A N G |
A/CP1/2 |
43 |
E |
Kan… |
A/CP1/2 |
44 |
M |
Gourou |
A/CP1/2 |
45 |
E |
Et là ça se croise aussi |
A/CP1/2 |
46 |
M |
Euh je ne sais pas vraiment faire les K moi hein |
A/CP1/2 |
47 |
E |
Attends je vais te le faire parce que… |
A/CP1/2 |
48 |
M |
Parce que moi je n’ai pas l’habitude de faire des K |
A/CP1/2 |
49 |
E |
Regardes tu fais une ligne droite comme ça, et là tu fais deux traits comme ça [montre comment on écrit un K]. D’accord ? je te fais le A aussi |
A/CP1/2 |
50 |
M |
Maintenant je peux le faire tout seul. N…le N ils se le partagent encore mais je crois que c’est l’éléphant qui est là. N…après le N heu…G…ah je l’ai fait du mauvais sens |
A/CP1/2 |
51 |
E |
Tiens ma gomme, je dois ne pas faire ton travail mais je t’aide un peu. |
A/CP1/2 |
52 |
M |
O U R…là ils se le partagent encore l’abeille et la tortue t’as vu ? |
A/CP1/2 |
53 |
E |
Oui |
A/CP1/2 |
54 |
M |
O U |
Situation 1 : (2’05’’)
Situation 2 : (55’’)
Situation 3 : (1’25’’)
Situation 4 : (35’’)
Situation 5 : (2’16’’)
Situation 6 : (1’13’’)